Mise au point : La consommation de champignons pourrait-elle être à l’origine d’une forme de SLA ?

13 septembre 2021

En aout dernier le Dr E Lagrange du CHU de Grenoble en collaboration avec le Pr PS Spencer (Université de Portland, Oregon USA) a publié dans la revue Journal of Neurological Sciences un article revenant sur la description d’un « cluster » de cas de SLA soupçonné dans les années 2010 dans un hameau de la station de La Plagne (Isère) (An amyotrophic lateral sclerosis hot spot in the French Alps associated with genotoxic fungi. Lagrange E et al. J Neurol Sci. 2021 Aug 15;427:117558. doi: 10.1016/j.jns.2021.117558. Epub 2021 Jun 25. PMID: 34216974). L’article émet l’hypothèse que ces cas seraient dus à la consommation de champignons (fausse morille ou Gyromitra gigas). Connus pour leur toxicité et interdits à la vente, ces champignons contiennent une neurotoxine : l’acétaldéhyde N-methyl-formylhydrazone dont les effets toxiques aigus sont connus : nausées vomissements, diarrhées, fièvre et maux de tête, mais aussi des manifestations neurologiques pouvant survenir quelques heures après absorption telles que vertiges, ataxie, fasciculations musculaires, crises épileptiques, coma. De plus, à plus long terme, en cas d’exposition chronique sur plus de 10 ans et de consommation très élevée de champignons, cette hydrazine produit des métabolites dérivés susceptibles de dégradation de l’ADN et par là de modifications du métabolisme des radicaux libres impliqués dans l’oxydation cellulaire (voir PS Spencer, Frontiers in Neurology 2019, 10, 754 ; 1-12, doi: 10.3389/fneur.2019.00754). Une telle perturbation cellulaire de la voie des radicaux libres induite par des modifications de l’ADN est connue comme un des mécanismes apparaissant dans les cellules nerveuses au cours de l’évolution de la SLA. Il est alors émis l’hypothèse qu’une consommation répétée de fausses morilles conduirait à plus ou moins long terme à une modification de mécanismes biologiques des neurones moteurs pouvant conduire au développement d’une SLA. L’article a été repris par la revue Sciences et Avenir de début septembre 2021.

Sur quoi s’appuie cette hypothèse ? Essentiellement sur les propriétés neurotoxiques connues de la fausse morille car le lien de causalité avec des cas de SLA qui lui sont rapportés repose sur des suppositions suggérées par l’existence de clusters SLA en zone de consommation de fausses morilles.

1 – Cluster SLA en Savoie : En 2009, une médecin généraliste a alerté sur un nombre anormalement élevé de cas de SLA dans un hameau. Une enquête très exhaustive diligentée par l’Agence Régionale de Santé (ARS) avec analyse précise du mode de vie des personnes atteintes, de leurs habitudes alimentaires et une enquête environnementale recherchant des facteurs toxiques (métaux lourds, agents chimiques industriels et agricoles, radon, polluants divers …), sont restées négatives. Une forme toxique de SLA liée à une cyanobactérie (BMAA) étant connue depuis de nombreuses années (forme de SLA de la zone pacifique et notamment de l’ile de Guam liée à la graine du palmier cycas consommée directement ou via la consommation de chauve-souris), une étude épidémiologique nationale à la recherche de cette bactérie a été réalisée en France par une équipe de Limoges entre 2003 et 2011. Ce hameau a été inclus dans l’étude sans trouver de trace de la bactérie (Delzor A, Couratier P, Boumedienne F et al. British Medical Journal 2014 ;4:e005528, doi: 10.1136/bmjopen.2014.005528). Des analyses génétiques moléculaires pour rechercher s’il ne s’agissait pas de formes de SLA familiales sont restées non informatives (mais à cette période, très peu de gènes de causalité de la SLA étaient encore connus). Sur suggestion du Pr Spencer, l’équipe de neurologues de Grenoble qui avait suivi les premiers cas, a repris l’enquête locale : 14 cas de SLA ont été colligés entre 1999 et 2013 dans le périmètre incriminé, seule la moitié des personnes atteintes de SLA, dont plusieurs étaient décédés, se sont avérés, a posteriori, être des consommateurs réguliers de fausses morilles, néanmoins, des consommateurs de la même région n’ont pas développés de SLA.

2 – Cluster SLA en Finlande : un cluster de 227 cas de SLA a été identifié en Finlande entre 1919 et 1945, dans une région du sud (Ita-Suomi), attribué à la consommation crue d’un autre type de morilles (Gyromitra esculenta, consommables séchées ou après avoir été bouillies). Notons que la consommation était très importante en raison des restrictions alimentaires locales pendant la période 1940-1945. La toxine incriminée est ici la gyromitrine (familles des nitrozamines) aux mécanisme toxiques similaires à ceux de l’hydrazine.

3 – Cluster aux USA : On sait que la prévalence de la SLA est plus élevée dans me Middle-West des Etats-Unis où la consommation de fausses morilles seraient traditionnellement importante. Le lien entre alimentation et toxicité du champignon n’a pas été exploré.

Au total, s’il existe un lien entre la consommation de fausses morilles et la survenue d’une SLA, ce lien reste de présomption épidémiologique. On peut s’étonner que cet article n’ait pas incité les Autorités de Santé nationales à lancer une alerte pour sensibiliser les populations sur les potentiels risques encourus en consommant des fausses morilles. Enfin, il y a un intérêt certain à vouloir identifier d’autres sources toxiques que la graine de cycas susceptibles d’être à l’origine de SLA, non seulement pour sa prévention mais aussi pour conforter l’évolution du concept de SLA vers un démembrement de la maladie considérant de plus en plus qu’il y a plusieurs types de SLA selon la cause, génétiques, toxiques et environnementales ou pourquoi pas dysimmunitaire ou virale qui restent à démontrer.

Claude Desnuelle

Membre de l’Académie Nationale de Médecine

Pr Emérite des Universités, Neurologue des Hôpitaux

Vice-Président Association ARSLA