2007 – cette photo illustre notre merveilleuse vie de famille. Michel, mon mari, a organisé une magnifique fête pour mes 50 ans, j’ai été très gâtée, j’étais toujours très gâtée.
Après cet événement, 3 lettres SLA (ou maladie de Charcot) entrent sournoisement dans notre maison et nous font basculer dans l’horreur impitoyable de la dégradation, de l’handicap lourd et de l’atteinte de la dignité humaine. C’est quoi cette maladie ? Jamais entendu parler ? Nous sommes tétanisés en sortant du cabinet du neurologue. Nous savons que quelque chose d’énorme vient de nous tomber sur la tête, nous sommes montés malgré nous à bord d’un train fou en marche qui ne pourra pas s’arrêter, aucun traitement curatif, sauf un traitement qui retarde de quelques mois l’évolution de la maladie, cause inconnue ? Une bête immonde s’est introduite dans notre vie.
Je me souviens que tu disais parfois devant notre bonheur : »pourvu qu’il n’y ait pas une maladie de « merde » qui vienne le gâcher. » Un combat impitoyable et terrifiant a commencé.
Certaines maladies sont injustes et vides de sens, la SLA en est un exemple.
2008 – 2009 – 2010 : tu tombes, tu trébuches, les muscles de ta jambe gauche ne répondent plus à l’ordre donné par le cerveau de se lever, les montées aussi sont difficiles. Pendant 18 mois, tu participes à un essai thérapeutique en placebo pour tester l’efficacité d’une molécule sur la stabilisation de la maladie. Un immense espoir est né d’autant plus que la forme de la SLA dont tu es atteint a l’évolution la plus lente et la plus discrète. Nous avons peut-être beaucoup de temps devant nous ? Nous vivons comme si….nous voyageons comme si…..tout en sachant que la bête est tapie dans l’ombre inexorablement. Venise, Londres, la Sicile, Mickey à Disneyland Paris, pas de temps à perdre, profitons quand il en est encore temps. Nos 3 enfants, la famille, les amis, les collègues de travail, les voisins sont sidérés par ce qui nous arrive. Cannes, déambulateur, puis fauteuil roulant, le matériel entre à la maison. Des frustrations dans le quotidien pour toi, pour nous, apparaissent, tu ne peux plus te déplacer quand tu le veux, mais nous faisons front ensemble et c’est important de continuer comme avant, d’avoir des projets malgré la maladie. Nous compensons l’handicap tant que nous le pouvons, nous nous « adaptons », il faut distancer la maladie,ne pas la laisser nous rattraper. C’est un défi. On doit être plus forte qu’elle. Je t’assiste dans tous les gestes de la vie quotidienne de la toilette à l’habillage, dans tes déplacements, tes loisirs aussi, je m’occupe du jardin. Tu cesses ton activité professionnelle fin 2010, les déplacements sont trop dangereux.
2011 – Tu as de plus en plus de mal à te relever. La SLA nous fait vivre des situations de « fou ». Je commence à me fabriquer une carapace pour me protéger, nous protéger et pouvoir continuer à combattre les cruautés de la SLA. Installation d’un monte escalier à la maison pour aller à l’étage, constitution d’un dossier MDPH pour anticiper les besoins futurs en aide humaine et matérielle.
2011, c’est l’année de tes 60 ans. On prépare une grande fête, tu prépares les invitations, les menus sur l’ordinateur. Ton esprit doit être constamment occupé, même si tout au fond c’est le chaos.
Londres où vit notre fille, La Crête, là-bas, tu feras une embolie pulmonaire dont, ouf, tu réchapperas. Les aides à domicile arrivent à la maison. L’essai thérapeutique est arrêté, aucune stabilisation de la maladie. Coup de massue sur la tête. Le train infernal à bord duquel nous sommes tombe dans un gouffre sans fond. Comment se relever, continuer le combat, espérer qu’un autre traitement voit le jour de toute urgence ? Toujours garder l’impression d’une vie normale, le plus longtemps, sortir, aller au restaurant, au cinéma.
2012 – S’est installée une espèce de « routine » de vie. Tu as un ressenti vital de maîtriser les événements, de les subir le moins possible, de rester acteur de ta vie, de notre vie. Heureusement, il y a l’ordinateur. Jamais tu ne te plains. Ce n’est pas du courage, c’est bien plus que cela. Tu as toute ta conscience et toute ton intelligence et tu sais parfaitement où tu vas, où tu t’en vas.Tu es mon héros, vous êtes tous des héros. A la fin 2012, tu as perdu l’usage de tes jambes, de tes bras.
2013 – Je ne veux me souvenir que de ce concert d’Australian Pink Floyd, 2 places apportées par le Père Noël. Pink Floyd, le groupe que tu adorais, toute ta jeunesse. Tu as pleuré. Mon cœur a saigné. C’est une soirée pleine d’émotion, à fleur de peau. Nous vivons chaque seconde précieusement, nous laissons une certaine sérénité nous envahir, on voudrait que la magie du concert ne s’arrête jamais, qu’il n’y ait pas de dernière chanson. As-tu été libéré de la SLA un instant dans tes pensées lors ce concert ? Je crois que oui.
2014 – Tu t’en es allé, délivré de cette extrême souffrance morale qui t’habitait. Michèle ESNAULT